Grèce, OKDE-Spartakos (sgqi), déclaration de tendance (TPT), 23/12/2017
OKDE-Spartakos (section grecque de la Quatrième Internationale =SGQI) se dirige vers une décomposition idéologique et une transformation de l’organisation. La crise de l’organisation était tout à fait manifeste lorsqu’en été 2016, lors de sa conférence nationale, l’opposition dans la SGQI s’est rassemblée sur une plate forme commune. La situation empire et exige des réponses énergiques.
RAPPELS POUR L’HISTOIRE
L’organisation s’est développée -à la mesure de ce qu’elle était antérieurement- dans la première décennie de 2000, et cela en provenance de plusieurs secteurs : au sein des Forums, du mouvement étudiant ”d’extrême-gauche”, par unification avec des groupes qui participaient avant au Forum Social Européen (FSE) etc … Les moments les plus forts de ce cours ont été l’intervention au sein du FSE en 2006 avec une manifestation internationale lors de laquelle OKDE Sp. a organisé le bloc le plus massif de son histoire, ainsi que sa participation dynamique aux ”assemblées anticapitalistes” de l’été 2007 qui plus tard ont abouti avec des étapes intermédiaires à la formation d’Antarsya. Le lien de la SGQI avec la IVème Internationale (QI) était alors faite de tangages et de moments difficiles, particulièrement sur la question d’évaluer l’entreprise de Syriza, mais dans les lignes générales, ce lien nous faisait résolument avancer. L’école de base de formation politique de nos jeunes était le Camping International des Jeunes de la QI et notre relatif développement a même permis que la Grèce soit l’un des pays qui a organisé ce Camping. OKDE Sp. était la ”section grecque de la IVème Internationale” et en était fière, loin d’entretenir un climat permanent d’hostilité, même lorsque elle était en désaccord avec les choix décidés par des cadres de ses organes – à l’opposé de la pratique de l’actuelle direction de la SGQI.
En 2010 le développement hétérogène de l’organisation a atteint ses limites, et sa majorité a changé, suite à une alliance opportuniste inquiétante pour l’avenir. Une partie des camarades qui s’étaient politisés au sein du mouvement étudiant radical a réclamé un grand rôle dirigeant en faisant alliance avec des camarades qui étaient traditionnellement en divergence avec les orientations de la QI, au moins après le 14ème congrès de 1995. Alors que jusqu’alors il n’y avait pas le moindre soupçon d’un désaccord avec la ligne politique de l’organisation, cette alliance a gagné la majorité avec comme argument de base le fait que la direction précédente avait entrepris de dissoudre OKDE Sp. dans Antarsya de même que la QI, prétendaient ces camarades, liquidait ses sections dans des regroupements anticapitalistes ou de gauche. C’est là qu’ont été plantées les racines de la situation actuelle : fonctionnement fractionniste permanent, construction en opposition à n’importe quel ”traitre droitier” (que ce soit dans Antarsya, dans la QI ou dans la section elle-même) et logique d’autoreproduction organisationnelle que nous trouvons dans d’autres courants, trotskystes ou pas.
La tentative menée jusqu’alors de convergence des différentes provenances politiques et sociales a connu l’échec et peu à peu, le caractère de l’organisation a changé. A partir d’une tentative petite mais intéressante et en progrès, OKDE Sp s’est muée en une secte typique supplémentaire, qui s’est autoproclamée comme embryon du parti bolchévique. Naturellement, cela ne s’est pas déroulé en une seule nuit.
Les développements politiques et sociaux, tempêtes qui vont du premier programme de stabilisation en 2009 au referendum de 2015, ont exercé de fait une pression pour mettre à l’écart les désaccords internes. Dans la position qui a été minoritaire en 2010 a dominé l’idée à l’évidence erronée que ”l’organisation va apprendre de par sa propre expérience et qu’elle va corriger ses erreurs”, ce qui a amené à s’endormir et à céder. La marche au début ascendante d’Antarsya, y compris sur le plan électoral, qu’on peut comprendre par les mutations volcaniques de la scène politique sur fond d’ébullition sociale de longue durée, a affaibli jusqu’aux désaccords d’analyse sur le projet politique concret. Ironie : la nouvelle direction s’est transformée en supporter ardent d’Antarsya, dans les faits elle s’y est cramponnée. Alors qu’on était dans cette situation sociale explosive, la caractéristique d’OKDE Sp. ç’a été son surplace organisationnel et l’absence d’un clair projet politique de construction.
La période précédente permettait un développement régulier sur la base de critères connus. La nouvelle période avec les masses en mouvement avait de plus grandes exigences. Des appels formels à l’auto-organisation et au communisme ne suffisaient pas pour répondre à la domination dans la gauche grecque, y compris Antarsya, d’une rhétorique anti-memorandums patriotique, qui trouvait un terrain chez les militant-e-s comme premier degré de conscience de ce qui leur arrivait.
Mais le processus de mutation d’OKDE Sp a fait surface de manière plus intense lors de la récente période 2015-17 lorsque le vaste mouvement social s’est trouvé mené au 3ème memorandum par Syriza dans lequel il avait appuyé ses espoirs. La chute des illusions ne s’est pas accompagnée de davantage de radicalisation mais d’un engourdissement et d’un sentiment d’impasse, état d’esprit qui a permis la stabilisation relative du système politique et le recul marqué des luttes sociales par rapport à leur niveau de la période 2009-13. Tout le monde s’est replié désormais dans son microcosme, face à face avec soi-même. Il en a été ainsi pour OKDE Sp., dans un climat malsain de crise idéologique, de mutation organisationnelle et enfin, de rétrécissement des effectifs.
FRACTIONNISME SANS PRINCIPES
On a peut-être ”sauvé” Antarsya , mais on a ”perdu” la QI. L’empirisme de l’actuelle majorité de la SGQI a conduit à se fondre dans la culture politique d’Antarsya en même temps qu’à l’incapacité d’envisager les différentes tactiques de construction au sein de la QI sur la base d’un terrain programmatique commun.
La raison pour laquelle nous sommes dans la QI n’est pas un accord absolu sur les choix tactiques de la période mais dans un héritage programmatique commun et surtout vivante, une culture d’intervention, un cadre de débats. Et nous qui avions formé une plate forme commune lors de la dernière conférence nationale, nous avions, nous avons et certainement nous conserverons des points de vue différents sur des questions tactiques, mais nous sommes uni-e-s pour défendre cet héritage programmatique, cette culture d’intervention et ce cadre de débats.
Nous nous retrouvons avec de nombreuses organisations de la gauche dans des regroupements communs, que ce soit dans les organisations syndicales ou étudiantes jusqu’aux fronts électoraux. Nous n’excluons pas, au contraire nous recherchons des unifications, des fusions ou d’autres formes avancées d’association. Il suffit pour cela qu’en existent les conditions. Avec les camarades de NAR[1] et de SEK[2], nous avons ”construit” Antarsya. Il nous est cependant impossible pour le moment de construire ensemble un ”courant international commun”. Et à l’inverse, nous n’abandonnons pas la QI pour aller construire quelque Antarsya que ce soit sous prétexte que la majorité de la QI voulait probablement que nous adoptions une tactique erronée comme celle de DEA[3] dans Syriza.
L’héritage programmatique de la QI ne concerne pas simplement une référence rétro aux quatre premiers congrès du Komintern et le congrès de fondation de la QI en 1938, mais la suite vivante du courant, de l’analyse des secteurs de la révolution mondiale dans la décennie 1960 aux élaborations sur l’avant garde large après mai 68, au rôle central de la lutte contre l’oppression des femmes à partir de la fin de la décennie 70, au concentré théorique de notre lutte contre la bureaucratisation et en faveur de la démocratie ouvrière dans la décennie 80, aux analyses sur la décomposition du mouvement socialiste et ouvrier dans la décennie 90, jusqu’aux récentes élaborations sur la destruction de l’environnement par le capitalisme.
Rien de tout cela ne pèse dans le fractionnisme sans principes dans et hors la QI que mène l’actuelle majorité d’OKDE Sp. Le comble de ce fractionnisme est la formation d’une ”mini internationale” parallèle avec un groupe d’Argentine (TPR) provenant du Partido Obrero et d’une scission de la section turque de l’IST (SEP). Certes, nous n’excluons personne a priori : dans les actuelles conditions historiques, plusieurs désaccords historiques entre courants révolutionnaires ont perdu de leur gravité. Sommes-nous dans un tel cas avec les ”organisations sœurs” d’OKDE Sp ? En vérité, comment est-il possible de se déclarer ”organisation sœur” de quiconque sans faire précéder un débat programmatique, avec un texte décrivant les accords politiques et sans que cela ait d’abord été discuté dans des congrès de nos organisations ? C’est une chose que les ”tendances sœurs” et une autre que les ”organisations sœurs”. Nous ne voyons pas d’autre base d’accord commun qu’une simple approbation (”c’est vous qui avez raison et pas la majorité de votre Internationale”) au choix tactique d’être dans Antarsya et sur le fond, nous ne voyons qu’un ”mimétisme” de l’actuelle majorité d’OKDE Sp par rapport au modèle de construction linéaire adopté par ces organisations.
Il est inconcevable dans le lien avec le groupe turc SEP que la section turque de la QI soit contournée, qu’elle ne soit pas régulièrement informée de nos discussions avec SEP et que l’objectif principal ne soit pas, comme il conviendrait, le rapprochement des deux organisations turques sur les points où cela est possible. On voit avec une telle tactique la contradiction entre les paroles et les actes de la majorité de l’organisation quand elle exerce une critique contre la QI pour un traitement privilégié de DEA en Grèce !
La direction d’OKDE Sp a les pieds dans deux barques en même temps. Pendant que d’un côté elle forme un regroupement freelancer d’ami-e-s d’OKDE Sp, de l’autre elle entretient une plate forme avec des tendances et des organisations qui se réfèrent au ”secrétariat unifié de la IVème Internationale” alors que plusieurs de ces groupes ne sont pas membres de la QI Izar en Espagne ou Socialist Action au Canada ont été formés par des camarades exclu-e-s des sections nationales. Nous pouvons critiquer les sections qui ne permettent pas à ces organisations d’acquérir le statut d’organisations sympathisantes. OKDE Sp, malgré le conflit sans détour avec DEA sur l’évolution qui va du FSE à Syriza, a voté à l’unanimité lors d’une conférence nationale pour que lui soit accordé le statut d’organisation sympathisante. Par principe nous ne croyons pas à la logique des exclusions organisationnelles ou institutionnelles, particulièrement lorsque des organisations demandent avec constance à conserver un lien officiel avec la QI. Mais à partir du moment où les sections nationales ont une opinion différente, nous avons à respecter les principes statutaires et organisationnels de notre organisation internationale. De ce point de vue, l’initiative d’organiser dans l’espace du camping international des jeunes un atelier d’IZAR, malgré l’opinion opposée de la section nationale et l’énergie avec laquelle la majorité d’OKDE Sp s’est engouffrée dans cet événement, n’aident en rien aux relations entre IZAR et la section dans l’état espagnol. Ce n’est rien d’autre qu’un ”théâtre fractionniste” qui a pour but une capitalisation politique en maximisant la logique de rupture. On ne peut dire la chose plus clairement !
Le fractionnisme sans principes se manifeste aussi dans l’insistance de la majorité d’OKDE Sp à donner une place à la tendance du PTS argentin (qui a acquis la majorité dans la jeunesse du NPA) lors de notre camping international des jeunes. La majorité de la SGQI fonctionne comme fer de lance en vue d’un courant international qui se construit en antagonisme avec nous.
La récente manœuvre frauduleuse avec la signature de la section grecque pour une initiative de leur plate forme internationale en vue du congrès mondial de la QI, plate forme à laquelle participe la tendance majoritaire de la SGQI mais pas la section grecque en tant que telle, ainsi que la métamorphose d’une initiative publique d’Antarsya en vecteur de la bataille organisationnelle qu’elle mène dans et hors la IV ne sont rien d’autre que la cerise sur le gâteau de cette fuite en avant fractionniste.
Nous allons pourtant voir que ce fanatisme footballistique du genre ”ils nous haïssent et nous les haïssons” n’est rien d’autre à l’évidence qu’un substitut de foi cachant l’indigence idéologique et l’absence de stabilité politique de la majorité de l’organisation.
MUTATION IDÉOLOGIQUES
A côté d’une critique inépuisable des politiques ”opportunistes” soit de la IV soit de Syriza soit de la majorité d’Antarsya, l’actuelle direction d’OKDE Sp a fait preuve d’une mutation progressive mais constante en direction du courant poststalinien dominant à gauche.
– d’abord, son soutien aux séparatistes russophiles en Ukraine, dans lequel s’est enfoncé le bloc majoritaire. La bipolarisation fascisme / antifascisme a été utilisée comme justification pour l’intervention unilatérale de la ”Campagne Antifasciste de Solidarité à l’Ukraine orientale”, dans laquelle a été happée l’organisation, avec comme résultat qu’elle devienne ”la queue” de la gauche patriotique grecque russophile. Si nous avions cru un seul instant que les oligarques russophiles combattent pour écraser la peste brune, nous aurions consacré toutes nos forces à organiser depuis longtemps des brigades internationales antifascistes. Le combat contre le fascisme renaissant en Ukraine doit être mené sur une base totalement différente, internationaliste et de classe, loin et à l’opposé des projets impérialistes de Moscou et de ses marionnettes dans les ”démocraties populaires” de l’Ukraine orientale.
– l’appréciation du Brexit. OKDE Sp remâchant en partie l’argumentaire de la campagne pour le Lexit (”sortie de gauche”) en Grande Bretagne, a adopté un ”internationalisme” découpé et ravaudé à la manière dont le gros de la gauche grecque conçoit l’internationalisme : solidarité entre ceux qui se battent pour obtenir leur souveraineté nationale, même s’il s’agit de l’impérialisme britannique ou si le bloc politique qui menait la campagne pour le Brexit était celui des conservateurs et de l’extrême droite ! Avec comme argument que ”l’architecture de l’impérialisme supra national est déstabilisée”, il est sous entendu qu’un retour aux impérialismes nationaux est préférable et qu’objectivement, la lutte des classes est ainsi favorisée de ce fait. Fatalisme naïf en lieu et place d’une analyse des corrélations de classe et en fait, un point de vue s’accordant avec le patriotisme de gauche dominant.
– Indirectement, à demi-mots, la majorité de l’organisation, avec une ligne prétendument anti-impérialiste dans l’argumentaire, a pris position dans la guerre civile syrienne en faveur du pouvoir d’Assad dans l’idée que même si elle reconnaît son caractère dictatorial, elle veut pourtant sa victoire face à l’opposition qu’elle considère dans son ensemble comme islamique. Le principal article de la revue Spartakos en mai 2017 va jusqu’à critiquer le camarade Poutou (sans le nommer) pour sa déclaration disant que ”pour la première fois en 6 ans, l’armée du criminel de guerre Assad a été la cible d’une attaque aérienne” (par les forces occidentales) en réponse à une attaque avec des armes chimiques à Khan Seichoun. D’après l’article, Poutou sous-estime, de même que la masse de l’opinion publique libérale occidentale, le rôle de l’impérialisme en Syrie. En réalité, Poutou avait et a raison : l’impérialisme occidental a mis en place un cadre d’entente avec le pouvoir d’Assad et le bloc de forces qui le soutiennent. Mais la majorité de l’organisation hurle pour une bombe contre Assad et garde un silence de carpe sur la destruction de Homs par les bombes russes. Souvent, il est fait référence dans les textes des camarades de la majorité aux ”djihadistes de Syrie” en même temps qu’aux ”fascistes d’Ukraine”. Le lien est évident : sous le vernis anti-impérialiste, c’est un campisme qui émerge et se confirme avec différents exemples au fil du temps.
Peu à peu la majorité mute vers une conception du trotskysme comme simple complément radical du poststalinisme ou neostalinisme. La rhétorique anti-impérialiste, anti-OTAN et anti -UE se développe totalement au détriment de l’analyse de classe et internationaliste classique d’OKDE Sp et cela sur presque tous les fronts, de la question de l’immigration à l’antagonisme turco-grec, ce qui fait que l’organisation ressemble tragiquement au reste de la gauche grecque. La différence est que sur le plan de la propagande de ce qu’elle veut, de façon positive, la majorité d’OKDE Sp est ”discrète”. Dans la critique oppositionnelle elle est criarde.
TACTIQUE DE CONSTRUCTION SECTAIRE
A partir de la fin des années 80, quand a été formée dans sa dernière formulation la SGQI en tant qu’OKDE Spartakos, la ligne de construction de l’organisation a été la ”recomposition de la gauche anticapitaliste”. D’abord avec la formation de EAS à la fin des années 80, puis avec l’ « Initiative pour l’Unité de la Gauche Anticapitaliste et Radicale », plus tard avec la forme transitoire de ENANTIA et finalement avec la forme la plus ”réussie”, ANTARSYA. La réalité n’a confirmé aucun des nos schémas préconçus. Pour autant, même si c’est sous la forme bien moins élaborée de recomposition telle qu’elle est née avec la formulation d’Antarsya, aujourd’hui limitée à un front électoral, l’expérience historique des 40 dernières années a bien plus confirmé que réfuté la base théorique de notre point de départ. La gauche anticapitaliste peut se former en force politique nationale par le biais d’une convergence de forces qui ont suivi des parcours historiques différents. Le chemin du développement autocentré a connu un succès bien moindre. Le développement d’A/Synecheia en KOE[4] et d’OSE en SEK ont été les seuls exemples de petits groupes de la décennie 80 qui ont réussi à devenir des organisations avec un aspect relatif de masse, à côté de NAR qui provient de la scission de la KNE[5] en 1989, et nous avons fait le constat des limites de ce type de construction linéaire d’un parti. Notre expérience nous enjoint de reconsidérer la manière dont nous concevons la recomposition, sur la base des problèmes rencontrés et des conditions nouvelles. Elle ne plaide en aucun cas pour le repli sur des modèles de développement autocentré.
Pour la première fois depuis 40 ans d’histoire d’OKDE Sp, la majorité de l’organisation a formulé lors de la dernière conférence un projet radicalement différent après plusieurs années de confusion et d’empirisme. L’expérience historique du bolchevisme est métamorphosée une nouvelle fois en objet pittoresque de la grenouille qui croit qu’en enflant elle va devenir un boeuf. La majorité de l’organisation exclut toute forme de discussion stratégique pour un rapprochement organisationnel et toute forme de construction partidaire avec n’importe quelle force organisée qu’on peut relever dans la gauche grecque. Avec la majorité d’Antarsya, il n’est pas possible d’obtenir une forme supérieure d’unité. Avec les groupes provenant de la décomposition de la gauche de Syriza, il n’y a pas à discuter sérieusement. Avec le champ radical multiforme, extraparlementaire, anarcho-autonome, force indépendante qui a lancé des initiatives de mouvements divers dans la période antérieure, nous n’avons rien en commun. Nous nous coordonnons à l’occasion au sein du mouvement, nous nous présentons aux élections avec Antarsya, nous construisons le parti autour de nous et de quelques ami-e-s de l’organisation au sein d’Antarsya. A l’heure où la majorité de l’organisation ne voit pas le changement de la situation politique en Grèce et critique la QI parce qu’elle sous-estimerait les possibilités révolutionnaires de la période, elle propose le projet politique non seulement le plus sectaire mais aussi le plus défaitiste.
Il s’agit de la plus étroite conception de construction qui ait été formulée dans l’histoire continue du principal courant du trotskysme depuis les années 30, au sein duquel se place OKDE Sp. Pendant de nombreuses décennies, les trotskystes constituaient une petite minorité mais ils formaient soit la seule soit l’une des rares organisations de gauche en dehors du KKE[6] illégal et de EDA[7] qui était légale. L’objectif de construire un groupe révolutionnaire à caractère de masse autour du groupe initial avec une intervention régulière et entriste dans la base de EDA avait une certaine dimension réaliste, malgré les obstacles que, savons-nous, cette action a rencontré. Cette logique a connu un petit début de succès, comme on peut le constater avec les événements de juillet 1965, les ”Iouliana”[8], mais ce succès a été brutalement coupé par le coup d’état de la junte des colonels[9]. Croire que dans les conditions actuelles, avec la pléiade d’organisations dans l’extrême gauche grecque, OKDE Sp va se construire toute seule en parti révolutionnaire, c’est tout simplement dénué de tout fondement.
L’opposition dans OKDE Sp, même si elle a proposé une description conforme à la réalité du recul du combat de classe en Grèce après le referendum de 2015, voit des possibilités de plus larges regroupements à partir du vide laissé par le déplacement opéré par Syriza, pourvu que les anticapitalistes se mobilisent de telle sorte que le devenir de la gauche grecque ne soit pas dominé par une ”gauche de la drachme”. Nous savons que sur le terrain de la défaite et de la déception, il est difficile de construire de nouveaux regroupements porteurs d’espoir. Mais il ne faut pas pour autant perdre notre clairvoyance et nous auto-proclamer l’ébauche du parti révolutionnaire. En tout cas, la discussion sur la construction organisationnelle d’OKDE Sp a montré que l’actuelle majorité agit très loin de l’héritage historique de l’organisation à laquelle elle appartient et dont elle utilise le nom.
CRISPATION ORGANISATIONNELLE
L’actuelle majorité de l’organisation a emprunté et suivi avec constance un modèle emprunté aux pratiques d’autres organisations de la gauche extraparlementaire grecque, comprenant un club de discussions et un camping (national) de formation en été. On n’a pas à blâmer a priori de tels emprunts. Dans d’autres conditions, ils pourraient permettre d’avancer. Une organisation ouverte sur l’extérieur, développée sur une base hétérogène comme l’était OKDE Sp dans la décennie 2000 aurait peut être dû adopter des procédures organisationnelles plus resserrées pour mieux accumuler ses expériences et s’unifier davantage. Mais un groupe politique fermé qui se renouvelle lentement en adoptant un tel modèle accroît son enfermement sur lui-même, au détriment d’une intervention dans les mouvements, et il renforce son auto-suffisance sectaire.
Les générations de cadres qui ont immédiatement précédé se sont formées entre autres dans les campings internationaux des jeunes de la QI. Certes, la crise économique en Grèce et le succès des campings nationaux des autres organisations a exercé une pression assez forte en faveur d’un camping national. Mais ce virage, si on l’ajoute aux données du fractionnisme pratiqué par la tendance majoritaire d’OKDE Sp dans et hors la QI, entraîne d’importantes conséquences sur la formation politique des nouveaux membres. Les délégations qui se rendent au camping international sont désormais contrôlées par la majorité et préparées à priori pour un ”combat de retranchement” contre les ennemis.
On peut observer un fléchissement dans chaque activité de l’organisation : soirées du club, présentations de livres, réunions de cellules. D’année en année, la participation au camping national diminue. Le bloc de l’organisation dans les manifestations est plus faible que jamais. Le développement de la conjoncture politique ainsi qu’une tendance générale à la démobilisation ont naturellement joué le plus grand rôle. Mais la majorité refuse de reconnaître la nouvelle situation. Elle se maintient soit disant prête pour la révolution. La mauvaise image de l’organisation ne s’explique pas seulement par le tournant sectaire mais celui-ci la renforce dans tous les cas.
L’intervention et le travail d’OKDE Sp se limitent à 3 secteurs :
– hyperinvestissement dans une Antarsya qui ne fonctionne pas et qui d’après la majorité ne peut pas se développer en quelque chose de supérieur, et il n’est pas question qu’elle se développe en parti révolutionnaire.
La majorité de l’organisation se dépense dans une Antarsya où les comités de base sont devenus atones. Elle a jeté ses forces dans l’organisation d’une plate forme d’opposition ”pour une Antarsya révolutionnaire et anticapitaliste” qui certes exerce une critique correcte sur les contradictions de la majorité d’Antarsya mais qui s’entête de manière sectaire à refuser les coopérations au nom d’une autarcie que la vie interne et l’intervention externe d’Antarsya ne justifient pas. Et cette plate forme elle même est devenue atone en lien avec toute la vie interne d’Antarsya.
– fractionnisme international : elle remplit le vide de ses relations avec la IV par une série de contacts, rencontres et initiatives avec ses nouveaux alliés internationaux.
– simple reproduction du cercle étudiant / de l’intervention dans le mouvement étudiant et EAAK[10].
Tout le reste est secondaire dans l’intervention de l’organisation, y compris l’intervention dans le mouvement ouvrier. Les interventions y sont individuelles, inorganisées et pas systématiques, elles n’impliquent pas l’ensemble de l’organisation ou même sa plus grande partie. Toutes les organisations locales de la gauche éprouvent à des degrés divers les difficultés de la période. Mais la majorité d’OKDE Sp rend les choses plus difficiles du fait qu’elle réagit de façon sectaire en se retranchant, en se rigidifiant, en refusant la réalité.
CULTURE ANTIDÉMOCRATIQUE DU DÉBAT
Le pire, le plus décevant, c’est le changement intervenu dans le cadre du débat démocratique et fraternel et de la formation de militant-e-s réfléchissant de manière autonome et critique. Dans les conférences, ils s’en prennent en bloc et d’une manière grossière à ceux et celles qui ont un point de vue différent. De nouveaux et nouvelles camarades font leur apparition dans les discussions internes, formés par la majorité de l’organisation, pour dire que ”l’organisation s’identifie à sa majorité” et que ”celui qui n’est pas d’accord n’a qu’à se lever et partir”, et cela à la face de personnes qui construisent OKDE Sp et la QI en Grèce depuis des décennies. La minorité est accusée de sabotages imaginaires, et cela à un moment où le problème de la participation à l’organisation est global et dépasse tendances et plates formes.
La situation a empiré du fait qu’à partir du bloc initial de l’actuelle majorité se sont mis en marge ou retirés la plupart des membres expérimentés de l’organisation qui avaient été formés dans un cadre de débat totalement différent, y compris au sein de la cellule des étudiant-e-s, qui en 2011 avaient brusquement changé de point de vue sur la recomposition mais gardent la mémoire d’une organisation qui développe et cultive le climat vital du débat démocratique. Dans les conditions actuelles il semblerait impossible pour OKDE Sp qu’elle s’accorde et s’unifie avec d’autres groupes / tendances ou qu’elle recrute des cadres éprouvés du mouvement social, à l’inverse des années 2000. La majorité se retranche dans un climat d’intolérance et et d’hostilité vis à vis de la recherche intransigeante de la vérité, recherche qui est le socle de la critique communiste.
SUR LE TERRAIN DE LA IVème INTERNATIONALE
La situation pour OKDE Sp est grave, elle a atteint des limites. Nous plaçons en toute logique le combat livré lors de la dernière conférence à son étape suivante, à la mise en évidence publique de la mutation qu’opère la majorité d’OKDE Sp dans sa rupture avec les principes programmatiques de la QI et avec la culture politique d’OKDE Sp.
Nous nous regroupons sur le terrain des acquis programmatiques et de l’horizon stratégique de la QI pour construire une organisation marxiste révolutionnaire capable de constituer un outil dans les mains des militant-e-s d’avant garde dans leurs interventions au sein du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux. Et cela non pas pour former un club de commentaires ou un centre donnant des leçons ex cathedra , mais une organisation en prise directe avec la conscience et les questionnements des militant-e-s. Une organisation capable de concentrer une part vivante de l’expérience historique de la QI et du mouvement ouvrier grec, à partir de la place singulière du courant marxiste révolutionnaire et de la QI, sans sectarisme et autoproclamations. Une organisation prête à contribuer à graver une stratégie et des perspectives sans cesser un seul instant de lutter et d’agir au sein du mouvement réel avec les autres organisations du mouvement ouvrier.
Nous nous battons pour
· la libération sociale comme œuvre de la classe ouvrière elle-même
· la lutte pour la démocratie ouvrière, contre la bureaucratie et le substitutionisme
· un programme de transition contemporain vers le socialisme
· l’indépendance de classe, l’indépendance des mouvements sociaux et l’unité des travailleuses /eurs dans leur combat quotidien
· la libération de la femme
· la libération des LGBTQ
· la fin du massacre de l’environnement par le capitalisme
· un marxisme ouvert et critique
· la IVème Internationale
Tassos Anastassiadis
Tassos Goudelis
Fanis Vachaviolos
Alexandra Diamanti
Thodoris Zeis
Iro K.
Nora K.
Eleni Lalou
Christian L.
Athina Moss
Panagiotis Sifogiorgakis
Dimitra Spanou
Yannis Felekis
Elea Foster
[1] NAR : Organisation de la gauche anticapitaliste qui vient d’une scission de la jeunesse du KKE des débuts des années ‘90. C’est la plus grosse organisation de Antarsya. [Note du traducteur]
[2] SEK : C’est l’organisation grecque de la tendance internationale IST. [Note du traducteur]
[3] DEA : Scission du SEK de la fin des annéees ‘90, qui a participé à Syriza et puis à l’Unité Populaire. Elle a des rapports fraternels avec la ISO américaine ainsi que des rapports avec la QI. [Note du traducteur]
[4] KOE : Organisation d’origine maoïste (à l’origine elle s’appelait A/Synecheia), qui a intégré Syriza -avant de s’en éloigner. [Note du traducteur]
[5] KNE : Organisation des jeunesse du Parti Communiste Grec (KKE). [Note du traducteur]
[6] KKE : Parti Communiste de Grèce. Le KKE s’était formé au début des années 1920 par transformation du jeune Parti Socialiste grec (SEKE) ayant à sa tête Pantelis Pouliopoulos, qui est aussi la figure fondatrice du mouvement trotskiste en Grèce. Malgré sa stalinisation précoce, le KKE a réussi à se mettre à la tête de la lutte contre les nazis, pendant la guerre, et à organiser la « guerre civile » de la fin des années 1940. Déclaré ilégal après la défaite, il ne devient légal qu’après la chute de la dictature des colonels, en 1974, ayant connu une scission importante en 1968 (d’où vient le courant « eurocommuniste » qui a fondé plus tard le Synaspismos qui débouchera sur Syriza dans les années 2000. [Note du traducteur]
[7] EDA : Le KKE, étant illégal, il avait formé dans les années 1950 EDA comme parti large légal. [Note du traducteur]
[8] « Iouliana » (=« Journées de juillet ») : Il s’agit de la révolte de juillet 1965, qui a commencé par la revendication de « démocratie » contre l’État de la droite et du roi, qui avait tout fait pour renverser le gouvernement « libéral » élu de l’époque. [Note du traducteur]
[9] « Junte des colonels » : Nom donné à la dictature militaire du 21 avril 1967, qui a duré jusqu’en été 1974. [Note du traducteur]
[10] EAAK : Tendance au sein du syndicalisme étudiant. Il s’agit en fait de plusieurs regroupements d’étudiants révolutionnaires ou anticapitalistes, dans chaque faculté, sans centralisme national, mais avec un esprit unitaire et radical, avec une certaine coordination (on a connu des processus semblables dans le syndicalisme ouvrier, avec les « Syspeiroseis » -=« regroupements »). On utilise, donc, indifféremment, ce sigle soit au singulier soit au pluriel. Les EAAK sont apparus dans les années 1980 et ont servi de base sociale pour le regroupement anticapitaliste Antarsya beaucoup plus tard. [Note du traducteur]